Le peuplement du Pacifique par les populations polynésiennes, arrivées de l'est à bord de grandes pirogues, remonte à environ 4 000 ans. Les chercheurs estiment que les archipels de Tahiti furent colonisés vers 500 après J.C. On situe, dans ces mêmes îles, la construction des premiers marae vers le 15e siècle. C'est à partir des îles de la Société que les marae se seraient répandus dans le reste de la Polynésie. De tradition orale, la culture ancestrale polynésienne a bien failli complètement disparaître avec l'arrivée des Européens au XVIIIème siècle et l'implantation du christianisme au XIXème siècle, emportant avec lui tous les témoins des croyances polynésiennes. Mais dès le XXème siècle, des fouilles archéologiques sont menées aux îles de la Société, permettant ainsi de mettre au jour de multiples sites qui avaient sombré dans l'oubli, envahis par la végétation. Ainsi sont« re-nés » les statues, les ti'i (équivalent du tiki en langue marquisienne), les pétroglyphes (motifs gravés dans la pierre), ainsi que les lieux de culte en pierre, les marae. Ainsi sont « re-nés » ces lieux de culte en pierre. Il n'est pas si loin le temps où ce qui peut apparaître aujourd'hui, comme de simples « amas de pierre », revêtait un rôle fondamental dans la société polynésienne traditionnelle, celle d'avant l'établissement des premiers colons européens, à la fin du XVIII ème siècle. Bien plus qu'un «temple», le marae était le siège de toutes les décisions, le véritable pilier du fonctionnement social, politique et religieux de la société. Lieu de culte, le sanctuaire marquait le rang de son propriétaire dans la société.
Les anciens Polynésiens étaient polythéistes : chaque île, chaque chefferie, famille et corps de métier possédaient ses dieux. Des dieux aux fonctions bien spécifiques et des dieux différents, mais complémentaires. Les Polynésiens venaient sur les marae pour honorer ces dieux et leur demander d'influencer favorablement les événements. Le marae avait donc une fonction capitale puisqu'il permettait d'assurer la communication avec le monde des dieux. C'était uniquement sur le marae que les atua (les dieux) pouvaient être convoqués par les rituels des prêtres, pour venir s'incarner dans les idoles sculptées. Cette venue sur terre permettait aux hommes d'obtenir du mana, une force divine responsable de la santé, de l'équilibre, de la fertilité... On pensait que toute réussite était due au mana et tout échec à son absence. L'absence prolongée des dieux sur terre faisait faiblir le mana, c'est pourquoi on devait les y inviter régulièrement, chose qu'on ne saurait faire ailleurs que sur le marae. On pouvait faire venir le mana uniquement par le biais de rituels.
Seuls les prêtres, les tahu'a, pouvaient accomplir ces rituels. Afin d'obtenir satisfaction dans leurs requêtes, les tahu'a devaient faire des offrandes (fata rau, fata ai'ai') aux dieux. Le mana n'était donné par les dieux qu'en échange d'autre chose : c'est le système du don/contre-don. Le don était perçu en Polynésie comme un intermédiaire entre les dieux et les hommes puisqu'on considérait qu'il entraînait de manière presque mécanique un contre-don. Les dons les plus prestigieux incitaient les dieux à être généreux envers les hommes. D'où les dons de chair humaine... Mais les sacrifices humains, aux îles de la Société, n'étaient pas pratiqués n'importe comment et répondaient à des circonstances bien particulières. Ils avaient lieu uniquement sur les marae de chefferies. C'était donc un don d'une grande valeur pour les divinités, qui estimaient alors que le donateur méritait un contre-don à la hauteur. Comme par exemple davantage de mana, une pêche plus fructueuse, une victoire guerrière écrasante...
A première vue, un marae ressemble à une cour rectangulaire en pierre, dans laquelle se situe un ahu, sorte d'autel en pierres dressées, simple ou à étages. Dans les îles de la Société, les marae étaient construits avec des pierres sèches, en fait des blocs de basalte ou des dalles de corail. Les galets étaient ensuite grossièrement façonnés et assemblés pour former le parvis.
L'ahu formait une petite pyramide à étage, il était réservé au prêtre, tahu'a, et au chef, ari'i. Au centre de l'esplanade (cour), il y avait des pierres « dossiers », sur lesquelles le prêtre et le chef s'installaient pour prier.
On trouvait également des unu, sculptures de bois aux formes géométriques qui représentaient des hommes ou des animaux. Les unu symbolisaient les familles à qui appartenaient le marae.
Le marae était entouré de nombreuses constructions, tel que le fare ia mahana, « la maison des trésors sacrés ». La conception d'un marae variait en : fonction de son importance, mais les bases architecturales étaient quasiment similaires. Les Polynésiens n'étaient pas simplement très religieux : tout était régi et codifié par le sacré, le tapu, une interdiction venant des dieux et que les prêtres, les tahu'a, faisaient savoir à la population. Les marae, extrêmement tapu, empreints de mystère parlent de ces coutumes révolues des Polynésiens. Révolues mais pour autant pas complètement oubliées... Aujourd'hui encore, de nombreuses croyances entourent les marae.
On trouve des marae dans toutes les îles de Polynésie française avec néanmoins quelques variantes au niveau de la structure architecturale, des matériaux utilisés et des rituels qui s'y tenaient. Aux Marquises, les habitants appelaient ces lieux les me'ae. Le marae était aussi le lien des hommes avec leur terre, leur fenua, il était ce par quoi on pouvait revendiquer son titre de propriété. En effet, sur tous les terrains étaient construits des marae familiaux auxquels étaient rattachés les lignées héréditaires, c'est pourquoi ce sont, entre autres, les emplacements des marae qui ont permis aux Polynésiens de prouver leur appartenance à des terres et de les délimiter après l'arrivée des Européens.
Taputapuatea avait une portée interinsulaire. ll s'agit du plus grand et du plus important des marae de l'archipel de la Société. II y a plus de mille ans, sa renommée était si étendue qu'il paraîtrait même que la plupart des peuples de Polynésie orientale (îles de la Société,Tuamotu, îles Cook,voire Nouvelle-Zélande et Hawaii) le considéraient comme le siège du pouvoir spirituel et temporel. La raison d'un tel rayonnement : l'île de Raiatea, jadis nommée Havai'i, est considérée comme le berceau de la civilisation Ma'ohi. La tradition veut que ce soit de Raiatea que les navigateurs polynésiens soient partis pour aller peupler d'autres îles du Pacifique. Le marae royal ou marae ari'i construit sur le littoral à proximité de l'Océan purificateur, était le seul à connaître les sacrifices humains. Le grand marae des Pomare à Pare était de ce type. Au moment de l'arrivée des Européens, la compétition entre les princes tahitiens était telle que c'est de cette époque que datent les plus grands monuments.
Celui de Mahaiatea fut édifié à Papara par la « cheffesse » Purea en l'honneur de son fils Teriirere, mais celui-ci ne fut jamais considéré comme un prince important et l'édifice ne fut pas consacré. Il n'en reste que peu de choses, car un planteur d'Atimaono utilisa ses pierres pour construire un pont sur la rivière Taharuu.
C'est le marae le plus important d'une île, l'expression du pouvoir et des liens de solidarité tirés autour de l'ari'i nui, sorte de chef culturel et cérémoniel d'une île. Coeur spirituel de chaque grande chefferie d'une île, on célébrait sur ce marae les différentes phases de la vie d'un ari'i, comme le couronnement, la puberté, etc. On y préparait également les événements importants tels que les guerres.
Ce marae fut édifié par la « cheffesse » Purea en l'honneur de son fils Teriirere, mais celui-ci ne fut jamais considéré comme un prince important et l'édifice ne fut pas consacré. Il n'en reste que peu de choses, car un planteur d'Atimaono utilisa ses pierres pour construire un pont sur la rivière Taharuu. Le marae de district, dit marae mata'eina'a, revêtait la même forme que les marae nationaux mais en plus petit format. A ce marae étaient attachés les titres et généalogies des familles de chefs du pays. On y célébrait les événements liés au ari'i et à sa famille. On ne pouvaient pas pratiquer des sacrifices humains.
Le marae tupuna exprimait la solidarité de la maisonnée. Les noms héréditaires de la famille attachés au marae constituaient le moyen de prouver son titre de propriété. Chaque dalle du mur qui entourait le marae représentait un membre de la famille qui l'utilisait pour prier en s'agenouillant dessus. On y célébrait les événements concernant la vie du clan, tels que les naissances ou les décès. Certains étaient plus développés tel le marae Arahurahu reconstitué à Paea.
Le marae du clan, marae o te va'a matauna'a, avait une importance considérable pour les populations car il faisait d'elles une communauté. Les hommes du clan s'y réunissaient pour faire des demandes et des offrandes pour leur communauté en période de réjouissance ou d'épidémie. Ce type de marae exprimait la solidarité généalogique interinsulaire.
Ce type de marae était assez petit, il ne contenait parfois qu'une seule pierre à prières. Les spécialistes en question (docteurs, constructeurs de pirogue, pêcheurs, etc.) se consacraient à leur dieu spécifique. Ils demandaient ainsi aux dieux de bien vouloir les aider dans leur entreprise. Les guérisseurs avaient le leur ; il était consacré à Hau, dieu de la paix. Les constructeurs de pirogues accomplissaient des rites en l'honneur des dieux avant et à la fin de leurs travaux. Les pêcheurs s'activaient sur leur sanctuaire en novembre, car alors commençait la pêche à la bonite ; célébrant la première sortie en mer, ils offraient les premiers poissons au marae royal.
On cherchait un endroit calme et protégé. Il fallait que l'ahu soit face à l'Océan ou alors isolé par un précipice, le domaine des dieux devant être à l'abri. Ensuite, le prêtre étendait un rahui sur le domaine royal, c'est-à-dire un interdit alimentaire s'étendant sur terre et sur mer. Cela permettait la constitution de grandes réserves alimentaires destinées à être redistribuées lors des fêtes suivant l'inauguration du sanctuaire, mais aussi à nourrir les travailleurs requis. Les gens devaient parler à voix basse, les femmes, les enfants et les vieillards se retiraient à l'intérieur des terres pendant la durée des travaux. Aucun feu ne devait être allumé. D'abord le terrain destiné au marae était débroussaillé (c'est le sens de marae) et arrosé d'eau de mer pour devenir sacré. Avant d'entamer la construction, un sacrifice humain était nécessaire. Alors le travail pouvait commencer. Une fois le marae terminé, une procession silencieuse suivait la famille royale, l'ari'i ayant revêtu l'insigne de son pouvoir, le maro ura, ceinture de plumes rouges.
Elles marquaient les événements importants de la vie de la famille de l'ari'i : naissance, majorité, intronisation du roi, maladie, mort, guerre. En outre, le peuple venait sur le marae offrir les prémices des récoltes, des fruits, mais aussi les premiers poissons. Périodiquement se déroulait le désherbage du marae (vaerea marae) et le pai'atua (habillage des dieux). Alors, l'ari'i proclamait un rahui et tous les notables se mettaient à l'ouvrage. Après le nettoyage, l'image du dieu protecteur (to'o) était dépouillée de ses enveloppes et exposée sur l'ahu pour y être vénérée. On priait le dieu pour qu'il descende dans son image et vienne résider quelques instants sur le sanctuaire. Puis le dieu était recouvert de nouveaux ornements et recevait des offrandes. Le son des tambours annonçait que la cérémonie était terminée. L'image du dieu tutélaire cachée aux yeux des humains regagnait le fare ia manaha, la vie normale pouvait reprendre, l'interdit étant levé.
On offrait aux dieux des animaux, des plantes et des hommes. La plante la plus courante était le bananier, symbole de paix et de réconciliation. Parfois des chiens étaient sacrifiés, mais le cochon était le plus fréquemment égorgé en l'honneur des dieux. II semble qu'à l'arrivée des Européens, offrir des hommes en sacrifice était une pratique récente. Ceux qui étaient désignés étaient tapu ; on ne pouvait plus rien pour eux. Tout le monde risquait d'être choisi ; l'ari'i cherchait d'abord à éliminer les personnes hostiles au pouvoir, les voleurs, les prisonniers, mais c'était surtout de la classe des Manahune, la plus basse de la société, que venaient les victimes.
Le marae donnait un grand pouvoir aux chefs polynésiens sur leurs sujets. En effet, le sanctuaire appartenait à l'ari'i. Plus il était grand et plus il en imposait, et il y avait sans doute une relation entre les dimensions du monument et la puissance du chef.
Déjà à sa naissance, le futur ari'i s'imposait, car à la veille de l'accouchement le grand prêtre annonçait un rahui sur tout le pays. Quand l'enfant naissait, le prêtre affirmait : "Ua mahuta mai nei te atua " (les dieux ont volé jusqu'ici). L'enfant était donc la manifestation des dieux. C'est sur le marae que le prêtre coupait le cordon ombilical (une des rares occasions où les femmes y avaient accès), puis mère et enfant étaient placés dans le fare hua (maison des faibles), où ils séjournaient le temps que tombe le cordon. Le père baisait les pieds de l'enfant et se soumettait à lui ; le fils aîné devenait de plein droit le chef de famille; c'est en son nom que l'autorité continuait à être assurée par la mère ou le père régent. Ainsi, le premier-né devenait à son tour ari'i et était reconnu par les chefs inférieurs.
Le roi était investi de sa puissance au marae, lors d'une longue cérémonie dirigée par le grand prêtre. Trois sacrifices humains avaient lieu. La conque du dieu Oro annonçait la fin de cette première partie de la cérémonie. Puis, après que le futur ari'i se fut purifié dans la mer, le grand prêtre lui présentait les insignes de sa fonction sur l'ahu : éventail, couvre-chef, canne et surtout le maro ura, symbole sacré. L'ari'i devenait alors supérieur à tous. Son mariage avait également pour cadre le marae. Les parents choisissaient l'épouse pour éviter l'altération du sang ari'i. Il ne pouvait avoir d'enfants issus d'une classe inférieure (manahune ou ra'atira); quand cela se produisait, on pratiquait l'infanticide. Une cérémonie avait lieu au marae de l'époux, puis à celui de l'épouse.
L'ari'i était un personnage craint, proche des dieux; seul il pouvait avec le grand prêtre accomplir l'escalade de 1'ahu et décider les sacrifices humains ; lorsque les gens passaient devant ses terres, ils devaient se dévêtir jusqu'à la ceinture ; Cook puis William Bligh en 1788 remarquèrent que non seulement les parents et les sujets se dévêtaient ainsi devant Tu, futur Pomare 1er; mais aussi devant son fils âgé de six ans. Les guerres étaient fréquentes et leur préparation nécessitait plusieurs cérémonies au marae. C'est le grand prêtre qui décidait du moment opportun. Il devait avant tout connaître l'avis de Oro, dieu de la guerre. Si la guerre se soldait par une victoire, les dieux étaient remerciés, l'ari'i en profitait pour détruire le marae adverse et pour se faire acclamer dans l'enceinte du sien, où était signé un traité de paix.
Le sanctuaire appartenait à l'ari'i, maître et allié du clergé. Ce petit monde assez complexe était dirigé par le grand prêtre ou tahuà nui, choisi bien souvent dans la famille régnante. À l'arrivée des Européens, il servait Oro, le dieu le plus puissant de l'archipel de la Société. Ses pouvoirs étaient étendus.
Dépendaient entièrement de lui les prêtres inférieurs (tahuà puro), hommes instruits, formés dans des écoles n'accueillant que les enfants des ari'i et des chefs inférieurs. Les orateurs (orero) étaient aptes à réciter des incantations et à présenter la généalogie de leur ari'i à une vitesse étonnante ; ils prononçaient les discours d'accueil aux visiteurs de marque. Les opo nui (serviteurs du marae) participaient au nettoyage du sanctuaire, élevaient les cochons et les volailles des dieux. Ils jetaient les restes des sacrifices sur le charnier du marae, le tiria pera. Le tiri portait l'image du dieu lors des cérémonies et les haerepo (ou récitants) étaient des prêtres en formation aux fonctions identiques à celles des orero, mais qui ne pouvaient sortir que la nuit. Les taura étaient des personnes inspirées qui, entrant en transes, parlaient un langage incompréhensible interprété par les prêtres, et les rauti contaient les hauts faits de guerre du pays pour encourager les guerriers. Vingt à trente personnes avaient une fonction sur le marae.
Sacrés comme les prêtres, les arioi avaient une origine que l'on faisait remonter au dieu Oro qui aurait nommé le premier d'entre eux, l'ari'i Tamatoa d'Opoa, ce qui confirme l'importance de Raiatea dans la préhistoire polynésienne. Pour être arioi, il suffisait d'être beau et de savoir bien danser, peu importait la classe sociale. Souvent, le futur arioi devait attendre des mois, voire des années avant son initiation qui se déroulait lors de grandes fêtes. Pendant trois ans, le nouvel arioi apprenait chants sacrés et danses, puis commençait pour lui une nouvelle vie. Il existait huit grades, marqués sur leur corps au moyen de tatouages, mais les gens du commun restaient cantonnés aux trois ou quatre premiers. Pendant leurs déplacements dans l'île, les arioi étaient respectés et nourris par les populations. Leurs femmes n'étaient pas autorisées à avoir d'enfants. Ceux qu'elles mettaient au monde étaient tués avant leur premier cri. Après le premier cri, l'enfant avait la vie sauve.
Leur activité principale visait à animer les fêtes. On faisait toujours appel à eux et, s'ils commençaient par présenter des scènes mythologiques, très vite, ils offraient des sacrifices à la déesse des plaisirs, d'où leur réputation auprès des premiers Européens. Ces jeunes gens et les jeunes femmes les accompagnant donnaient, durant leurs déplacements nombreux, des représentations théâtrales et chorégraphiques ; ils satisfaisaient ainsi l'immense besoin de distraction du peuple tahitien.